PETER S'JONGERS. CEO de Protime, société spécialisée dans les softwares en gestion et organisation du temps.

Le télétravail existe mais faudrait-t-il une loi spécifique pour généraliser et booster ce mode de travail?

Oui. Nos voisins l'ont fait, pourquoi pas la Belgique? Les Pays-Bas vont sortir ce 1er juillet 2015 une Loi sur le travail flexible (une initiative des partis GroenLinks et CDA), essentiellement connue comme la loi sur le droit au télétravail. Les travailleurs pourront désormais y faire une demande de télétravail et en cas de refus, l'employeur devra clairement le motiver. Au sens strict, il s'agit plutôt d'un droit à demander du télétravail. Ce type de loi existe depuis un an en Grande-Bretagne où elle permet même à des employés des formules de partage de télétravail. En la matière, les pays scandinaves restent les plus avancés. Bref, la Belgique est en retard et il est urgent qu'elle modernise l'organisation de ce travail indépendant du temps et du lieu.

Qu'est-ce qui bloque en Belgique?

La volonté. Mais elle prend forme. Pour preuve, le ministre de l'Emploi Kris Peeters commence à organiser des tables rondes ce mardi. Si les experts semblent d'accord, il existe encore quelques divergences au sein des partenaires sociaux. Le flou concerne le traitement fiscal du télétravail ou le matériel informatique au domicile. Une ancienne loi sur les travailleurs mobiles s'applique en la matière, complètement dépassée. On attend impatiemment une loi moderne sur le télétravail.

Les employeurs avanceraient en ordre dispersé et rechigneraient à une loi générale. Quels sont les avantages pour eux?

Dans la recherche de talents, offrir à un employé de la flexibilité et l'autonomie d'organiser son travail est fondamental pour un employeur. C'est une exigence aussi pour limiter le turnover de l'entreprise et garder ses éléments. Les études montrent également que les salariés qui bénéficient d'un meilleur équilibre vie professionnelle/vie privée sont nettement moins absents.

Et pour les employés? N'y a-t-il pas plus de pression sur les télétravailleurs susceptibles d'être disponibles soirs ou week-ends ?

Non. Pouvoir organiser soi-même son travail est un vrai atout pour l'employé. Quelle plus-value que de leur permettre de placer ici un rendez-vous médical sans prendre congé ou d'aller chercher des enfants dans l'après-midi sans stress! Il sera plus à l'aise dans l'entreprise et son efficacité sera d'autant meilleure. Un employé présent de 9 à 17 heures dans l'entreprise, on sait qu'il est là, mais ou ne sait pas ce qu'il a. fait. La présence obligatoire n'est pas un gage d'efficacité dans le travail. Plutôt que le respect des horaires, une entreprise avisée aujourd'hui va se concentrer sur la contribution à réaliser et les objectifs à atteindre. Concevoir le monitoring de la semaine d'un employé est plus important que de savoir combien d'heures il doit être assis sur son siège

Ne doit-on pas craindre, comme chez Yahoo, un isolement de travailleurs?

Vous faites référence à la décision de Marissa Mayer, CEO de Yahoo, de supprimer le télétravail. Le contexte de la décision était limité: quand elle a pris la tête de l'entreprise pour créer une nouvelle dynamique, elle avait constaté qu'une centaine de télétravailleurs de Yahoo n'étaient jamais allés dans un des sièges ni n'avaient rencontré leurs collègues. L'excès est mauvais en tout. Un cadre est nécessaire dans l'organisation du télétravail. Le faire trois jour sur cinq est concevable. Pas cinq jours sur cinq.

Amazone a créé "The Mechanical Turk", une plate-forme Internet où s'inscrivent des entreprises qui proposent des microtâches dans un temps alloué contre une rémunération minime. Le télétravail de masse ne risque-t-il pas de déboucher sur des millions d'em

Je ne crois pas. Il y aura toujours ici et là quelques appels à la sous-traitance externe. Mais le développement de la société de la connaissance aura besoin de plus en plus d'employés avec valeur ajoutée. Et ne parlera pas de ''cols bleus" dans le télétravail mais bien de "cols blancs" valorisés. Et on attend un cadre pour avancer dans cette direction.

Entretien: Thierry Boutte