Les idées fortes de cet entretien

  • Faire du télétravail une possibilité et jamais une obligation
  • Le télétravail apporte de l’efficacité, de la productivité
  • Les avantages liés à l’humain (équilibre de vie privée / vie pro) sont mis en avant
  • On passe d’une logique de nombre d’heures travaillées à une logique de résultat
  • Une partie seulement des activités de l’entreprise sont concernées par le télétravail
  • L’entreprise ne pourra plus ignorer les demandes de télétravail de ses collaborateurs
  • L’immobilier d’entreprise va connaître une forte mutation
  • Le contact entre collaborateurs reste essentiel à leur bien-être
  • Le contact physique reste primordial dans l’entreprise
  • Tous les collaborateurs ne se sont pas à l’aise avec le télétravail

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Namur, le 30 avril 2020.

Est-il vrai que pendant la crise les employés en télétravail ont travaillé plus efficacement ?

« Si je prends un exemple concret que je connais bien, celui de Protime, je dirais que oui. Nous sommes en télétravail depuis le 13 mars et après un petit temps d’adaptation les commentaires sont positifs. Evidemment tous mes collègues vous diront qu’ils ont hâte de retrouver l’ambiance du bureau et des contacts avec les autres mais il y a une unanimité autour du fait que le télétravail comporte beaucoup d’avantages dont celui de l’efficacité. La charge de travail s’organise selon notre propre réalité familiale, il est plus facile de prévoir des moments de travail intense et d’autres pour faire une pause plus ou moins longue avec les enfants par exemple. La crise nous a appris à nous remettre en question, à revoir nos standards de productivité en misant notamment sur le résultat et non sur le nombre d’heures prestées. C’est une vision que nous défendons depuis longtemps et elle s’avère plus que jamais vraie »

Peut-on dire que la crise a montré que le télétravail est efficace et rentable ?

« Je pense que dans le contexte actuel, les effets ne sont pas mesurables pour tous les secteurs ou même tous les départements de l’entreprise. Evidemment si tous vos services peuvent être délivrés à distance il est plus simple de maintenir l’efficacité, voire d’augmenter la rentabilité. Mais peu d’entreprises malheureusement peuvent se vanter d’un tel résultat. Toutefois, même si le télétravail va limiter les rentrées d’argent dans un premier temps, je pense que beaucoup d’entreprises auront mis ce temps de « latence » à profit pour repenser leur modèle ou en tout cas à préparer l’après-crise. Que ce soit avec de nouveaux produits/services, un nouveau business-model ou tout simplement une nouvelle approche commerciale, il est possible de préparer au mieux l’après-confinement en assurant une rentabilité à court ou moyen-terme. J’ai vu notamment chez Protime des départements, plus impactés par la crise et une diminution de leur charge de travail, s’investir dans des projets divers et variés en collaboration avec d’autres départements. Nous sommes très transparents dans notre communication avec le personnel : la vie sera différente et le business particulièrement mais nous pouvons d’ores et déjà nous préparer et nous adapter »

Est-ce que cela a également levé des doutes et des réticences auprès des directions ?

« Il est encore tôt pour faire vraiment le point car beaucoup de dirigeants sont encore dans la gestion de crise et n’ont pas encore eu le temps d’en tirer les enseignements. Mais en tant que fournisseur de solutions de gestion des temps, nos clients ont évidemment été impactés par ce changement de mode de travail. Certains n’avaient pas mis en place des processus de télétravail avant-crise et ont dû le faire en urgence. Une fois cette première adaptation effectuée, certains ont rapidement reconnu la plus-value du télétravail qui leur permettait de poursuivre une partie des activités à distance. Ce sont à ce stade les bénéfices économiques qui sont les plus tangibles mais quand l’heure sera au bilan, j’espère et je ne doute pas que les avantages liés à l’humain, à l’équilibre vie privée/vie professionnelle des collaborateurs seront mis en avant. A titre personnel, je crois que le facteur humain va reprendre de l’importance. Cette crise pousse évidemment tout un chacun à se recentrer sur l’essentiel et les entreprises devront en tenir compte. Les collaborateurs auront changé leurs perspectives, leur vision ou auront tout simplement goûté au télétravail alors que cela leur était avant la crise inaccessible. L’entreprise ne pourra l’ignorer . Une enquête de BDO vient d'ailleurs d'étudier la volonté de 9 collaborateurs sur 10 de poursuivre le télétravail 1 à 3 jours par semaine après le confinement.»

Y aura-t-il aussi un facteur économique qui va dicter la continuité du télétravail, telle que la nécessité de faire des économies en période de récession, particulièrement sur l’immobilier commercial ?

« La réflexion était déjà amorcée avec les problèmes de mobilité que toutes les grandes villes connaissent. Je ne compte plus les sociétés m’ayant parlé de leur volonté de revoir leur organisation en mettant à disposition des bureaux satellites, hors des centres urbains pour permettre aux collaborateurs de passer moins de temps dans les bouchons. Le télétravail peut en effet être vu de manière bien plus large que le « home-working ». Le coût immobilier est alors réparti sur des espaces plus petits et plus accessibles avec, à la clé, des collaborateurs plus productifs car plus au bureau et moins dans leur voiture. »

« D’autres préfèrent réduire l’espace bureau en mettant à disposition des collaborateurs un agenda partagé au niveau des salles de réunions ou des places de parking et en équipant leurs collaborateurs pour le télétravail à la maison avec d’éventuelles primes de télétravail pour compenser les frais engendrés (électricité, chauffage…) »  

Est-ce que les employés ont également de leur côté appris comment télétravailler et compris en quoi c’est bénéfique pour eux et l’entreprise ?

« Il est évident que les situations de télétravail ne sont pas les mêmes pour tous, que l’on ait des enfants en bas-âge à gérer ou non ou encore que l’on ait une pièce dédiée permettant de faire la scission entre le travail et la vie de famille. Chez Protime nous mettons un point d’honneur à garder le contact avec les collègues en organisant quotidiennement un « check-in call » qui est en fait une vidéo conférence au cours de laquelle le manager prend le pouls de l’équipe. Chacun peut partager ses ressentis et sa réalité. J’entends des points de vue différents mais tous reconnaissent que le télétravail (lorsqu’il redeviendra occasionnel et non la règle) présente énormément d’avantages dont celui de l’organisation, de la possibilité de profiter d’avantages de moments en famille ou encore de bénéficier de plus de sérénité et de calme qu’au bureau pour des tâches demandant un haut niveau de concentration. Il est toutefois clair pour tous que cela ne remplacera jamais le plaisir de retrouver ses collègues au bureau et heureusement ! »

Si les directions vont vouloir maintenir du télétravail, quid des employés qui l’ont aussi en partie mal vécu en raison du confinement ?

« Comme je le disais le vécu dépend de beaucoup de facteurs dont la composition familiale, l'environnement de travail mais aussi la charge de travail. Télétravailler demande de l’organisation. Si l’on a eu autant voire plus de tâches à gérer pendant cette période de confinement, certains auront éprouvé des difficultés à gérer seul cette charge sans la présence physique de leur manager ou des collègues. D’autres auront vu leur charge de travail diminuer et auront éprouvé des difficultés à se fixer des moments de travail et à se motiver. Enfin certains collaborateurs supportent tout simplement moins l’isolement et le manque de contact. Malgré la technologie, les vidéo-conférences ne pourront jamais remplacer le contact physique. C’est pourquoi le télétravail doit être encadré dès maintenant, pendant la crise. Le plus important est de rester en contact avec ses collaborateurs au travers de réunions virtuelles, de maintenir le coaching des équipes par les managers et de dispenser des conseils pour gérer au mieux cette situation. Chez Protime, le département RH envoie par exemple chaque jour un e-mail avec des conseils et idées. Grâce à toutes ces initiatives, les managers et/ou les ressources humaines auront déjà pu repérer les collaborateurs en difficulté et pourront les suivre une fois le déconfinement en marche. Il est clair que nous ne sommes pas tous égaux face aux conditions du télétravail et qu’une direction peut continuer à encourager le télétravail après la crise mais qu’elle ne pourra en aucun cas l’imposer sans quoi cela sera contre-productif.  Cela doit rester une possibilité offerte aux collaborateurs qui auront appris à se connaitre et à découvrir leurs limites face au travail à distance. Ils seront tous à même de choisir ce qui leur convient le mieux et à quelle fréquence »

Après la crise, comment trouver un nouvel équilibre entre télétravail et présentiel ?

« L’entreprise ne pourra pas imposer une cadence au risque de voir une baisse de productivité. Pour que le télétravail livre ses effets bénéfiques à ce niveau, il faut laisser la possibilité aux collaborateurs de télétravailler avec la conviction que ce confinement et télétravail forcé leur aura appris à mieux se connaitre et à découvrir le « style » qui leur convient le mieux »

Quels sont les arguments pour plaider en faveur de la poursuite du télétravail en dehors de l’aspect économique ?

« Sans aucun doute la productivité ! Je peux en parler en connaissance de cause : nous sommes élus par nos collaborateurs Great Place to Work depuis 8 ans et un des éléments qui est apprécié est notamment la politique de télétravail très flexible chez nous. Nous sommes de fervents défenseurs de l’engagement des collaborateurs comme facteur de productivité. Il n’est en effet plus à prouver qu’un collaborateur bien dans ses baskets sera plus productif au travail, moins absents et moins malades, plus créatif et j’en passe. Le bonheur au travail passe inévitablement par la flexibilité dont le télétravail fait partie : pouvoir travailler de la maison quand on a besoin de calme, que l’on attend le plombier ou tout simplement pour être plus proche de l’école des enfants pour les reprendre à l’heure ne doit plus être un luxe mais une réalité »

On ne reviendra jamais complètement en arrière ?

« Je ne pense pas. La révolution était déjà en marche. Je ne vais pas vous parler de digitalisation du monde du travail, ce changement avait déjà été amorcé il y a des années. La différence c’est que toutes les entreprises sont maintenant entrées dans ce monde digital, parfois de manière brutale avec la crise. Le monde continue d’avancer, le marché même s’il est au ralenti continue de tourner grâce au digital. Les habitudes des clients changent et leurs besoins également. Les concurrents s’adaptent donc toute entreprise doit suivre le mouvement si elle veut continuer à vivre. Comment voulez-vous revenir totalement en arrière après toutes ces avancées. Certains vieux comportements ou veilles habitudes reviendront certainement à la surface mais le monde aura changé »

Dans ce contexte, la gestion du temps de travail devient en revanche un véritable casse-tête, ne serait-ce que pour la comptabilisation des heures. Comment y faire face ?

« La gestion des temps de travail peut s’avérer en effet compliquée lorsqu’elle n’est pas digitalisée comme l’est le télétravail. Prenez l’exemple le plus parlant des jours de congés : de nombreuses questions sont soulevées à ce sujet entre les congés annulés par les collaborateurs qui ne peuvent plus partir en vacances comme prévu ou encore la question de la fin d’année lorsque la majorité des collaborateurs voudront placer leurs jours de congés épargnés pour enfin profiter de vacances « déconfinées ». Comment gérer le suivi administratif des reports ou tout simplement avoir une vue globale sur la planification des ressources dans les mois à venir si tout se fait sur papier ou dans un bon vieux tableau excel sur base du bon vouloir des salariés qui doivent communiquer aux RH ces infos ? C’est pourquoi les systèmes de gestion des temps prouvent plus que jamais leur utilité notamment en permettant aux collaborateurs de soumettre directement leurs demandes de congé dans le système avec approbation du manager et/ou des ressources humaines. Enfin plus que le suivi des absences, l’encodage des heures prestées peut également s’avérer très utile pour avoir un aperçu des éventuelles dérives et pas toujours au sens habituel du terme. Beaucoup redoute le télétravail par peur que les gens profitent du système. Mais il y a aussi beaucoup de collaborateurs qui ne savent pas « s’arrêter » et ne déconnectent plus du travail. Cela est très dangereux pour leur équilibre et l’entreprise peut facilement s’apercevoir de ces comportements extrêmes sur les heures sont enregistrées »

Quels conseils peut-on donner aux dirigeants et aux ressources humaines pour pérenniser efficacement le télétravail après la crise ?

« En conclusion de tout ce que j’ai pu expliquer dans mes réponses précédentes je dirais de faire du télétravail une possibilité et jamais une obligation et de l’inscrire dans une vision. Il faut expliquer la vision de l’entreprise sur le télétravail, que chacun sente pourquoi l’entreprise y est favorable avec des bienfaits pour toutes les parties. L’entreprise doit pouvoir mettre à disposition le matériel nécessaire mais aussi pouvoir instaurer un climat favorable fait de confiance et de responsabilités. Chacun doit pouvoir juger de sa capacité à télétravailler et ne pas avoir un sentiment de culpabilité lorsqu’il fait une pause de 15 à 17h pour s’occuper de ses enfants pour ouvrir à nouveau son ordinateur le soir quand ils sont au lit »